Depuis mi-décembre, l’épidémie du coronavirus se répand à travers l’Asie. La situation sanitaire tend à une crise mondiale. Bien que l’OMS ait annoncé le 23 janvier qu’il était trop tôt pour déclarer une « urgence mondiale », le virus s’est propagé dans 18 pays dont trois cas recensés en France. Qu’en est-il à ce stade, de la menace du coronavirus, installée dans l’esprit de la population française ? Quelle position adopte le gouvernement face à cette menace ? Jacky Isabello, co-fondateur de l’agence de communication CorioLink décrypte pour La Revue Politique et Le Journal du Dimanche la communication de cette crise.
Gestion et communication
La catastrophe de l’usine Lubrizol nous a appris une chose. La mise en œuvre des dispositifs de gestion de crise peut être exemplaire, mais la mauvaise conduite de la communication de l’événement peut laisser une impression de fiasco. Pour Jacky Isabello, le gouvernement n’a, encore une fois, pas la réponse attendue.
« Lorsque j’ai entendu mercredi 22 janvier, Mme Buzin, invitée de Sonia Mabrouk sur Europe1, j’ai été interpellé. Son propos, en tant que communicant mais aussi en tant que citoyen, ne m’a pas du tout rassuré. Je ne m’attendais pas à une réponse sur la capacité du pays à gérer l’épidémie, car il n’a pour l’instant, qu’une très faible réalité. En revanche, il aurait fallu montrer que le gouvernement était au plus près du terrain, du problème. Que le principe de précaution préside à toutes nos décisions. Et dans ce cas, ce principe inscrit dans notre Constitution française, doit prévaloir également dans la mise en place d’un schéma. Ce schéma, dit de « gesticulations », est nécessaire à la réassurance des populations. », explique Jacky Isabello.
Des discours subjectifs
Les médias savent que chaque reportage sur le sujet demande un ton adapté à la situation. Plusieurs médias ont déjà adopté un ton « alarmant », notamment Le Parisien avec son titre « Pas de panique » en date du 26 janvier. Ou encore Le Journal du Dimanche qui commente les vidéos qui circulent et montrent « des images terrifiantes de malades qui s’effondrent dans les rues de Wuhan ». Chaque média va donc traiter l’information de manière différente.
Jacky Isabello décrypte : « Les journalistes de l’émission Quotidien sur TMC sont allés à la rencontre du personnel d’accueil. Ils se sont également déplacés dans les deux grands aéroports parisiens, sur les vols en provenance de Wuhan. les personnes rencontrées dénoncent toutes le manque total de précaution. En effet, ils ne disposent d’aucuns équipements et devront se contenter de gel hydroalcoolique. Sur France info, un homme rentré de Wuhan s’étonne également du manque de contrôle. Tout juste a-t-il dû laisser son numéro de portable et une adresse email en guise de contact. Ou encore les chaines d’infos et grands médias qui ont relayé, samedi 15 janvier, les explications précises et contextualisés de médecins spécialistes de l’agence nationale de santé publique, Santé publique France, en direct de l’hôpital Bichat. ».
Toutefois la ministre Agnès Buzin ne souhaite pas appliquer les contrôles de température des passagers en provenance des régions contaminées.
Selon Jacky Isabello : « Au lieu d’adopter une posture d’expert, le gouvernement brouille les messages. Ce vendredi 24 janvier sur BFM TV, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye mélange grève et coronavirus. Rien n’est vraiment mis en place aux l’aéroports par les autorités vis-à-vis des passagers rentrant de Chine. Mais pour le gouvernement, déambuler au sein d’un cortège de manifestants serait irresponsable et très risqué. Quelle est l’intention du gouvernement ? Ne pas faire paniquer la population, armer les complotistes ou perdre en crédibilité avec de tels propos ? ».
Revenir aux fondamentaux
En situation de crise, le risque d’une surenchère d’événements n’est pas à négliger. Il est donc nécessaire pour le gouvernement de s’interroger sur la communication de ses scenarii d’intervention. Faut-il comme dans le cas de Lubrizol faire le choix de ne pas effrayer la population, ou surjouer la mise en place d’un dispositif afin d’anticiper les contre-vérités colportées par les réseaux sociaux ?
« Il faut évaluer la situation et comprendre que s’installe un biais cognitif dans l’inconscient collectif. Nous percevons une asymétrie de communication entre des images provenant de la Chine montrant des chinois suréquipés à des fins de contention et de protection. Et une position dans l’hexagone, où l’inquiétude de la menace est moindre. De plus, il faut communiquer sur la gestion de l’alerte. Ce point à pêché dans le cas de Lubrizol pourtant, il est nécessaire d’expliquer à la population les étapes qui pourraient se succéder si la crise de santé s’aggravait. Parler en tant qu’expert au moment où tout le monde n’a pas encore cédé à la panique. », préconise Jacky Isabello.
Avant d’ajouter : « Il est essentiel de faire s’aligner la communication et les éléments de langage à l’ensemble des intervenants. Les médecins, le gouvernement et seulement ceux habilités à en parler peuvent prendre la parole. De plus, laisser des journalistes réaliser des reportages dans les aéroports sans préparer les hôtes et hôtesses au sol est une erreur, il faut savoir les devancer. ».
L’importance des réseaux sociaux
Lors d’une récente séance d’analyse de l’affaire Lubrizol à l’initiative de la société EH&A, un haut fonctionnaire a déclaré que sans les réseaux sociaux, le sentiment de cette gestion de crise aurait été favorable aux pouvoirs publics. Cependant les réseaux sociaux existent, et il est important de les prendre en compte dans les stratégies de communication. Cette prise en compte permettra d’anticiper au mieux les débordements en temps de crise. Il est nécessaire d’agir en amont car le manque d’informations transforme les craintes des publics et créent des contre-vérités voire des fakes news.