Amélie Lebreton et Jacky Isabello invitent les professionnels RH à entrer en campagne. En effet, au-delà d’une communication RH ou d’une communication interne, la négociation d’un accord de performance collective peut revêtir les traits d’une véritable campagne électorale. Retrouvez le point des co-fondateurs de l’agence de communication d’influence et de crise CorioLink dans une tribune initialement publiée sur Éditions Législatives – RH.
En 2020, l’économie française aura détruit 360 500 emplois salariés dans le privé, soit un recul de 1,8 % selon l’Insee. Il est difficile d’anticiper le bilan social final de la crise liée à la Covid-19. Certains dispositifs nés en 2017 par les réformes connues sous le nom d’ »ordonnances Macron/Pénicaud », expérimentés par les entreprises en difficultés, deviennent des outils pour éviter les licenciements. Dans leur application, ils changent les habitudes des professionnels des RH et des relations sociales. Regardons de plus près l’accord de performance collective.
Parfois accompagné d’un dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD) rendu possible par le plan de relance et mis en place pour aider les entreprises à faire face à l’impact de la crise sanitaire, l’accord de performance collective peut paraitre simple dans son principe : demander aux salariés des entreprises en difficultés de faire des efforts (aménagement du temps de travail ou de la rémunération par exemple) durant un temps à déterminer en contrepartie du maintien obligatoire de leur emploi durant cette même période. Ces dispositifs transforment, sur le temps de la période de négociation, les directrices et directeurs des RH en directeur de campagne politique. En effet, il est possible d’organiser un référendum auprès de tous les salariés sur l’accord de performance collective.
A défaut d’être signé par un ou plusieurs syndicats majoritaires aux dernières élections professionnelles, il peut être ratifié par la majorité des suffrages exprimés, à l’issue d’une consultation de l’ensemble salariés, dès lors qu’un syndicat ayant obtenu au moins 30 % des voix aux dernières élections internes a approuvé l’accord. S’ouvre alors une période de « campagne électorale » à l’issue de laquelle les salariés décideront si oui ou non ils adhèrent aux efforts demandés.
Organiser une campagne électorale
Eu égard aux objectifs désormais imposés de conquête des « électorats internes », les équipes RH et leurs conseils doivent étalonner un authentique projet de campagne électorale passant par diverses étapes. Parmi les modalités tactiques, signalons entre autres comment « »la politique » enrichit la doxa RH :
- la construction d’un plan de communication et des diverses tactiques découlant des scénarios envisagés ;
- la définition de toutes les cibles internes à toucher. Par département, par service, par équipe (attention il ne s’agit en aucun cas de créer un fichage interne et nominatif qui rappelons-le est illégal !) ;
- la qualification des états d’esprit vis-à-vis du projet. Il est important de disposer de relais parmi les managers de proximité pour appréhender l’accueil qui est réservé a priori à l’accord ;
- en fonction de ces aspects, le choix des points de l’accord sur lesquels insister particulièrement ;
- la conception des messages prioritaires (cadres nouvel entrant ou salariés à l’approche de la retraite, chacun est sensible à des aspects différents du projet) ;
- le choix des techniques créatives et des outils de communication pour diffuser les messages.
Ces points sont particulièrement importants en période de crise sanitaire puisque de nombreux salariés se trouvent en télétravail intégral depuis plusieurs mois ou n’ont pu retourner dans leur entreprise, fermées temporairement avec la crise. Aux historiques réunions par service, peut se substituer le recours à des rencontres par l’intermédiaire des outils numériques de téléconférence.
Toucher tous les publics concernés
Mais les outils numériques ne sont pas accessibles à tous. Comment rendre compte des avancées d’un accord, des étapes restantes, lorsque les salariés, principaux acteurs du référendum n’ont pas d’accès à Zoom ou autres Teams ? En revenant aux fondamentaux de la communication. Les outils de diffusion de messages oraux comme WhatsApp s’imposent ainsi comme canaux d’information pertinents pour que chaque salarié, à l’aise ou non avec les méandres de l’orthographe française, puisse appréhender le choix qui lui est donné.
Et pour que la campagne électorale se finalise sereinement, les directrices et directeurs des ressources humaines doivent sélectionner une société habilitée à organiser un scrutin sincère par voie numérique incluant plusieurs centaines/milliers de votants, disposant des agréments requis par les ministères et organisations internationales, ne sera pas le moindre des aspects à régler.
De nouvelles perspectives RH
Penser la négociation d’un APC comme une campagne électorale n’est pas une simple lubie de communicants. Car une philosophie naissante émerge de ce nouveau dispositif APC. En effet, entre un PSE qui – pour faire simple – s’impose unilatéralement sans autre forme de négociation que le respect des critères admis par la réglementation (reclassement) à des fins d’homologation par la Direccte et un APC permettant le dépassement des logiques de représentation par les institutions représentatives du personnel et les organisations syndicales représentatives, de nouvelles perspectives s’offrent aux directions des relations sociales et RH.
Donner la parole à l’ensemble des salariés représente un risque pour des syndicats qui peuvent, de fait, être déjugés par la base des collaborateurs. De ce fait l’APC n’est pas un outil apprécié par tous les syndicats. La CGT pour ne citer qu’elle, dans sa communication interne, a l’habitude de rappeler que « ces accords sont l’apogée de la déréglementation du droit du travail, ils se substituent à tous les précédents dispositifs de compétitivité emploi ». Créés en 2017, la CGT considère les accords de performance collective comme un outil abouti de chantage à l’emploi ».
A bon entendeur… et surtout à bon communicant.