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Élections régionales : comment faire campagne en période de crise sanitaire ?

 

Quelles sont les perspectives pour les élections régionales ? Comment faire campagne quand le distanciel est de rigueur et que le couvre-feu impose des horaires ?

 

A l’aune de la crise sanitaire, c’est une nouvelle manière de mener campagne qui se dessine. La poignée de main cède ainsi sa place à la main levée sur les applications de visioconférence.

 

 

 

Les élections régionales, reportées mais maintenues, seront donc sans bain de foule, sans meeting… L’arsenal de propagande classique est ainsi à repenser.  Si l’enjeu reste le même, il convient de faire preuve d’imagination pour « trouver de nouveaux liens et une forme de convivialité », comme le souligne Marc Fesneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement et candidat dans la région Centre-Val de Loire.

 

Le gouvernement a encouragé les candidats à avoir recours à une utilisation massive des outils numériques, en appuyant leur présence à la télévision et à la radio. Mais il s’agit d’un conseil, pas d’une obligation et tout candidat n’a pas la même facilité d’accès aux médias. La question est alors partagée entre ceux qui veulent une campagne 100% digitale pour plus de sécurité ; ceux qui ne parviennent pas à se positionner ; et ceux qui refusent de faire campagne dans ces conditions.

 

L’équipe de Coriolink s’est penchée sur la question de la proximité essentielle durant les campagnes et pourtant limitée en cette période et à décrypter ses élections.

 

 

 

Comment les autres territoires régulent les campagnes sous l’influence de la Covid ? 

 

La France n’est pas le seul territoire qui a dû organiser des élections depuis l’éclatement de la crise sanitaire. Sur 51 pays qui ont connus des périodes d’élection en période de crise, 22 d’entre eux ont vu des restrictions de la Covid limiter les campagnes de proximité, en maintenant pourtant les votes.

 

Les citoyens Américains, par exemple, ont élu leur Président dans une campagne fortement perturbée par la crise. Ainsi, la question de sa gestion a été au cœur de la campagne. Et si l’on a vu le président sortant faire fi des règles sanitaires, en organisant des meetings traditionnels, Joe Biden a déployé des meetings au format Drive-in.

 

Les Pays-Bas ont organisé leurs élections législatives. Dans un régime strictement parlementaire et suite à la démission du gouvernement, la tenue des élections était une obligation constitutionnelle. Afin de protéger les populations à risque, le vote par correspondance a été élargi à tous les électeurs de plus de 70 ans. La campagne électorale, d’ordinaire très suivie, a été très critiquée pour son manque de dynamisme. Les commentateurs locaux l’ont décrite comme « anesthésiée » par la Covid. Ce qui a entraîné des résultats très fragmentés avec 17 partis représentés à la chambre des États généraux.

 

Enfin, en Inde et plus précisément dans l’Etat du Bihar – Nord de l’Inde – 70 millions d’électeurs ont été appelés aux urnes. Une campagne, qui s’est tenue après un confinement strict, a fait oublier toute distanciation sociale. Les différents meetings ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes où gestes-barrière et distanciation sociale ont rapidement volé en éclat.

 

 

Et au niveau national, comment ça se passe ?

 

Les élections régionales se dérouleront sous un protocole sanitaire similaire celui mis en place lors du second tour des élections municipales du 28 juin 2020 en l’adaptant aux enjeux d’un double scrutin.

 

Le ministère de l’Intérieur a publié, le 20 avril 2021, des compléments d’information à son guide pour les candidats concernant la campagne électorale et le respect des règles sanitaires.

 

Ce document rappelle ainsi l’interdiction d’accueillir du public dans une permanence électorale, l’autorisation sous conditions de la distribution de tracts sur la voie publique et le porte-à-porte.

 

Pour tenir compte du contexte sanitaire, la campagne officielle a été anticipée d’une semaine et commencera le 31 mai 2021. Les professions de foi des candidats seront publiées gratuitement sur le site du ministère de l’intérieur. Enfin, les plafonds des dépenses électorales sont majorées de 20 %.

 

Encore marqués par les municipales 2020, qui ont enregistré le plus faible taux de participation sous la Ve République avec plus de la moitié des Français (58,14%) qui ont déserté les bureaux de votes, les candidats appréhendent ces prochaines élections.

 

 

Comment les candidats perçoivent leurs campagnes ?

 

Entre l’anxiété, l’agitation et l’incertitude, les candidats ne savent plus comment mener leur campagne : Quels outils ? Comment toucher son électorat ? De quelle manière se démarquer ?

 

« Ma conviction est que nous saurons organiser ces élections dans des conditions maîtrisées sur le plan sanitaire, conformes aux exigences démocratiques et favorables, en tous cas je l’espère vivement, à une bonne participation de nos concitoyens. » – Jean Castex.

 

Malgré les déclarations volontaires du Premier Ministre, les candidats ne sont pas plus rassurés quant à l’avenir des élections. Aurélien Pradié, candidat LR, avance mêm que « le gouvernement n’a rien fait pour que la campagne soit adaptée au contexte si particulier ».

 

Un fort taux d’abstention attendu

 

Étant dans l’incapacité de mener une campagne dans les règles, avec des outils de propagande efficaces, ils craignent un fort taux d’abstention. De plus, face à la crise sanitaire qui cristallise les pensées des électeurs, comment s’assurer que les citoyens soient informés des élections et du contenu des programmes ? Les élections régionales ne sont pas les plus populaires sur le territoire. D’ordinaire, le taux d’abstention s’élève autour de 50 %. Sans campagne de proximité, ce taux sera sans aucun doute plus élevé .

 

Organiser une élection équitable en période de Covid, une équation impossible ?

 

Ils sont nombreux à dénoncer une forme d’injustice entre les candidats entrants et les candidats sortants.

 

 « Cette élection ne laisse que peu de place aux conquêtes, parce que pour conquérir une région, il faut bien faire campagne. La crise pénalise les challengers ». – Aurélien Pradié, candidat LR en Occitanie.

 

L’avantage serait donc aux candidats déjà en place. Ils sont en position idéale pour répondre aux attentes et préoccupations des Français. Avec le report des élections repoussées, ils ont eu plus de temps pour mettre en place des actions concrète pour lutter contre la pandémie, première préoccupation des Français, et montrent ainsi qu’ils sont aptes à gérer la crise. Ainsi, dans un sondage publié à l’occasion du Congrès annuel de Régions de France, en octobre dernier, les Français font montre d’une satisfaction à l’égard de l’activité des Régions durant la crise sanitaire. Et ce tant au niveau de leur action directe dans la lutte contre l’épidémie en elle-même (52 % de Français satisfaits de l’action de leur Région contre 33 % de mécontents), mais également de l’action menée pour soutenir et relancer l’activité économique (45 % de satisfaits, 32 % de mécontents) et de la lutte contre les conséquences sociales de l’épidémie et du confinement (43 % contre 35 %).

 

Avantage aux candidats sortants

 

Hervé Morin, président du conseil régional de Normandie, le reconnait : « Ce qui manque à mes adversaires, ce sont toutes les manifestations, festivals, salons, réunions des clubs de foot et clubs des anciens ». Contrairement à lui, qui tire parti de sa fonction en allant à la rencontre d’entreprise et en scellant des partenariats. Un outil de propagande au service de sa campagne.

 

Mais il n’est pas le seul à se servir de son réseau pour se mettre en scène. Si aucun ne l’affirme, les réseaux sociaux des candidats sortants eux témoignent d’une hausse d’activités avec leurs territoires et leurs habitants.

 

C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé lors des élections municipales. Stéphane Raffalli a été réélu maire Ris-Orangis dès le premier tour. “Les habitants ont pu constater que nous savions réagir face à l’épreuve. Ils nous ont redonné leur confiance”. La continuité et la nécessité de garder le cap apparaît comme un avantage décisif.

 

Pour les candidats entrants, la crise associée à l’absence de campagne va inévitablement privilégier les élus déjà en place. Ils s’attendent à ce que les électeurs les perçoivent comme des valeurs solides et fiables. La crise semblerait faire l’élection.

 

 

Le digital, le nouveau classique pour mener des campagnes électorales

 

Si de nombreux candidats se plaignent des restrictions, Valérie Pécresse leur rappelle que le digital ouvre des grandes portes : « On n’a jamais eu autant d’espace ».

 

Déjà incontournable, les outils numériques sont plus que jamais des pièces maîtresses de la vie politique. La toile permet aux candidats d’aller là où les électeurs et les pas uniquement les plus jeunes sont. Faire une campagne numérique ce n’est pas faire une campagne de seconde main. Au contraire, comme l’avance la socialiste Najat Vallaud-Belkacem, elle permet d’offrir du contenu de qualité. De plus, comme le montre une étude menée par l’Échangeur BNP Paribas Personal Finance, avec les confinements, le digital s’est réellement intégré dans la vie des Français. Même si certaines barrières demeurent, comme l’explicite Caroline Veyret Prudhon, responsable des études consommateurs au sein de l’Échangeur : « L’essor des usages digitaux a bénéficié à un grand nombre de primo accédants sur les premiers mois du confinement, notamment les seniors qui potentiellement n’auraient jamais eu recours à la télémédecine ou au drive s’ils n’y avaient pas été contraints. Pour autant l’agilité digitale appartient toujours aux mêmes catégories, les plus jeunes et les plus aisés ».

 

Ainsi, si les campagnes de proximité restent plébiscitées, celles dématérialisées ont également fait leur preuve.

 

En Amérique, Alexandria Ocasio-Cortez, représentante Démocrate, s’était tournée vers le jeu “Among Us”. Elle avait passé une nuit entière à jouer en direct au côté de 435000 personnes. Son objectif était de mobiliser le jeune électorat et de l’encourager à voter à l’élection présidentielle. Joe Biden avait quant à lui fait campagne sur Animal Crossing, en positionnant des pancartes et affiches “team jo”.

 

Échelle nationale

Plus proche de nous, les réseaux sociaux devenus des classiques de la communication, sont aussi mis au service de la vie politique. Najat Vallaud-Belkacem, ambitionne de créer un site Web. Celui-ci partagerait chaque moment de sa campagne sous forme de vidéo gratuites et accessibles à tout électeurs potentiels.

Ou encore du sénateur Bruno Retailleau, qui a créé l’application « 2022 » pour communiquer son actualité politique auprès de ses électeurs. Une idée que l’on retrouve également au sein du parti LFI, qui a créé l’application « Insoumission ».

 

Réalité augmentée

Souvenez-vous également de Jean-Luc Mélenchon qui a eu recours à la réalité augmentée pour rendre ses meeting plus vivants. Il est même allé jusqu’à proposer aux électeurs de Poitiers de se transformer en hologramme. Il suffisait d’entrer dans un camion studio pour poser une question à Jean-Luc Mélenchon.

 

La force du direct et de l’interaction

Sans oublier les formats vidéo en direct comme le proposent les Facebook Live. Le président PS de la Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, expliquait qu’il pouvait toucher 40 à 200 personnes. « Il y a toujours quelques supporters, mais la plupart des participants, je ne les connais pas ». Sophie Cluzel, ex-tête de liste LREM en Paca, a quant à elle opté pour un « meeting à 360 degrés » diffusé sur Youtube et Facebook, une façon pour le viewer de se balader dans son apparemment et de rompre la distance.

 

Nouveaux médias

Plus récemment, Laurent Saint-Martin, candidat LREM en île de France, a annoncé qu’il se lançait sur Twitch via la chaîne « LesJeunesavecMacron ». Une plateforme pour « parler jeunesse » qui a déjà fait ses preuves au côté de plusieurs personnalités politiques comme François Hollande.

 

L’audio est également un ambitieux outil digital qui peut servir les campagnes. Laurent Pietraszewski, candidat LREM dans le Nord a par exemple lancé le podcast « 2 minutes pour convaincre » sur Youtube où il présente son programme et ses idées. Laurent Saint-Martin s’est tourné vers clubhouse pour parler transports publics, budget et rugby.

 

Mais en raison du temps limité, certains candidats sont pris de court. Ils ne peuvent pas mettre en place les dispositifs les plus adéquats. C’est ce que regrette le candidat au Centre-Val de Loire, Charles Fournier.: « Nous devons apprendre à communiquer différemment, inventer de nouveaux moyens de discuter avec nos électeurs, mais il ne nous reste que deux mois, c’est très court».

Pas facile de donc de faire une campagne en mode « Stay at Home« …

 

Inégalité digitale au sein des campagnes électorales

 

Pas facile et pas nécessairement équitable… Contraindre les candidats à mener une campagne 100% digitale pourrait s’avérer être un facteur discriminatoire. Autant pour les candidats que pour les électeurs.

 

D’une part, certains candidats n’ont pas nécessairement accès aux outils numériques ; mettre en place une stratégie de communication politique digitale demande un appui financier et des compétences requises. Et aucune réglementation ou aide du gouvernement ne rend équitable le recours à ces outils.

 

D’une autre part, l’illectronisme reste une réalité pour un certain nombre de citoyens. Tous n’ont pas la formation, la connaissance ou le matériel pour consulter les différents programmes. Au même titre qu’avoir connaissance l’ensemble des candidats qui se présentent aux suffrages.

 

Le recours à une campagne entièrement digitale peut donc entraîner une inégalité dans l’accès à l’information.

 

 

Mener une campagne pour les élections régionales sans numérique, c’est possible !

 

Pour contrer le distanciel, il faut faire preuve d’imagination et quelques candidats l’ont démontré.

 

Nathalie Goulet, qui s’est depuis retirée, a eu recours, pour lancer sa campagne, à un camembert comme outil de propagande. « Dans les conditions actuelles, extrêmement difficiles du fait de la pandémie, j’ai essayé d’innover ». Elle a affiché son visage sur une boite de « vrai camembert normand au lait cru », et l’a distribuée gratuitement. Les internautes ont adoré cette idée, « Comment mieux parler de la Normandie qu’avec un camembert ? ». Une idée originale et doublement pertinente car médium devient le message et en plus la candidate soutient un producteur local.

 

Ensuite, Matthieu Orphelin, a œuvré pour organiser une « randonnée politique ». Réuni par plusieurs groupes de 6, il est allé à la rencontre de ses partisans.

 

Sans oublier, le retour du « bon vieux » bus. Comme celui, tout jaune, du candidat Thierry Burlot. Au bord de son bus aux couleurs de « Nous la Bretagne », le candidat a organisé son « Breizh Tour » pour rencontrer et échanger avec ses futurs électeurs – en respectant les gestes barrières.

 

Cependant, au-delà de ces quelques initiatives légèrement décalées, la campagne pour les régionales s’annonce pour le moment bien terne…

 

Mais qu’en sera-t-il pour les élections présidentielles ? Comment imaginer une campagne aussi importante où les meeting seraient remplacés par des visioconférences ?